21 nov. 2010

Photographies : Ezra Nahmad et Laetitia Tura



Bamako, 2009. Dans les locaux de l’Association des Refoulés d'Afrique Centrale au Mali (ARACEM) fondée par des migrants camerounais qui ont vécu un échec migratoire. Las de traverser les frontières, ils choisissent de s’installer à Bamako, car le retour au Cameroun induirait une déchéance sociale et une stigmatisation honteuse.


L'exposition Sur la frontière traite de l'errance migratoire. Le modèle migratoire classique, départ/installation/intégration, semble être aujourd’hui en voie de décomposition. Dans un contexte d’économie globalisée et de précarité généralisée du travail, le durcissement des politiques migratoires engendre des refoulements de frontière en frontière ; les parcours migratoires de plus en plus désordonnés, peuvent durer des années, voire toute une vie. Nous assistons à l'émergence d'une nouvelle forme de nomadisme international, où la vie des migrants est faite d’allers et de retours, de détours, de crises et de cassures familiales. La frontière n'est plus un check-point que l'on traverse ou pas, c’est un territoire immense et dilué, une accumulation de far-wests diffus où se déploie la vie erratique des migrants. Les photographies de Sur la frontière ont été prises à Bamako avec des expulsés maliens ayant vécu un retour forcé ; et au Maroc, sur les traces des migrants installés aux abords des frontières européennes et qui attendent le moment propice pour traverser. Elles montrent des gens en quête de liberté, pour qui la frontière est devenue par la force des choses un territoire de vie.
 

L'exposition est produite et diffusée par LA CIMADE et ses partenaires en Afrique de l'Ouest,
L 'AME, Association malienne des expulsés, au Mali
L'AMDH, Association mauritanienne des droits de l'homme, en Mauritanie
L'ANDDH, l'Association nigérienne de défense des droits de l'Homme
L'Association Alternative Espace Citoyen, au Niger
Le Groupe de travail migration et développement du Congad-Sénégal, au Sénégal
LE GADEM, Groupe anti-raciste de défense et d'accompagnement de étrangers migrants, au Maroc
L'AFAD, Association des femmes algériennes pour le développement, en Algérie
L'exposition sera présentée pour la première fois au Théâtre du Soleil, à Paris, fin novembre 2010. Elle sera montrée aussi dans plusieurs villes françaises et dans les pays où agissent les associations partenaires du projet.




Photographies d'Ezra Nahmad
« J’ai travaillé surtout avec l’Association Malienne des Expulsés (AME), qui accueille et oriente les travailleurs maliens renvoyés dans leur pays, mais aussi avec l’Association des Refoulés d’Afrique Centrale au Mali (ARACEM), qui s’occupe des migrants en transit à Bamako (vers le Nord de l’Afrique ou les frontières européennes). J’ai été frappé par l’exil particulier de ceux que le retour forcé transforme en parias ou en exilés sur leur terre natale. Il y a chez ces personnes une solitude et un déracinement qui ne ressemblent à rien d’autre ». Ezra Nahmad

Bamako, 2009. A l’ARACEM, les migrants d’Afrique centrale peuvent faire étape pendant quelques jours. On leur offre le logis et le couvert, un téléphone, des conseils et une assistance. Au bout de quelques jours, ils reprennent la route.



Bamako, 2009. Mahamadou Keita se rend presque tous les soirs à l’aéroport de Bamako. Là, il attend les expulsés en provenance d’Europe, d’Afrique du Nord ou d’Asie, pour les accueillir et leur proposer l’accompagnement de l’AME. L’Association des Maliens Expulsés soutient les expulsés et les aide à faire valoir leurs droits. Mahamadou est un ancien expulsé, comme tous les membres du bureau de l’AME.



Bamako, 2010. Pendant plusieurs jours, les expulsés de Libye sont hébergés dans les locaux de l'AME, un appartement de 4 pièces d'environ 80 m2. Le jour, une soixantaine de personnes se croisent ici, expulsés, salariés de l'association et bénévoles, médecins, juristes et journalistes. La nuit, les expulsés dorment sur le sol dans les locaux ou sur la terrasse du toit.



Bamako, 2010. Au petit matin, sur la terrasse de l’immeuble, M. fait l’inventaire de ce qui lui reste dans les poches. En Libye avant l’expulsion, les maliens ont été dépouillés de leurs affaires personnelles, de leur argent et souvent de leur passeport. Certains ont réussi à sauver, qui une pièce d’identité, qui un peu d’argent.




Bamako, 2010. Ali, l’homme de gauche, fait partie des expulsés Maliens de Khadafi. Je l’ai rencontré, il avait besoin d’être écouté. Lui, comme les autres hommes d’âge plus mûr, a passé plusieurs années en Libye. Le lendemain il vient me voir: " Tu veux bien venir avec moi chez mon frère ? Il ne veut pas croire que j’étais dans le charter. Il pense que je suis revenu avec beaucoup d’argent, que je l’ai caché, et que le charter c’est un mensonge. Toi, tu es blanc, il va te croire". J’accompagne Ali chez son frère, je témoigne. On conclut par une photo des deux frères. Réconciliés ?



Bamako, Djélibougou, 2010. " Ce genre de régions métropolitaines étendues représente une fusion du développement urbain et régional au sein de laquelle la distinction entre ce qui est urbain et ce qui est rural s’estompe à mesure que les villes s’étendent " (David Drakakis-Smith). L’essor démographique, l’urbanisation galopante, la banqueroute de l’agriculture, le pillage de l’économie et le chômage incitent les jeunes à migrer.




Bamako, 2010. Au service psychiatrique de l’hôpital de Bamako. Le retour forcé au pays, c’est-à-dire l’expulsion du pays d’adoption, donne souvent lieu à un traumatisme. On refuse le fait accompli, et l’on continue de se projeter dans le pays dont on a été exclu. Il n’est pas rare que ce traumatisme appelle un traitement psychiatrique.




Bamako, 2010. Mains d’un des expulsés maliens de Libye.



Bamako, 2009. Un sentiment d’exil profond, c’est ce que ressentent les maliens qui ont planté des racines dans un pays et qui ont été expulsés. Le premier déracinement surmonté en France, où il a vécu et travaillé comme ouvrier du bâtiment pendant de dix ans, M.D. connaît un deuxième arrachement à son retour forcé au Mali : il refuse d’entériner son installation à Bamako, bien que sa femme et son fils y vivent. Il entame des démarches pour retourner en France avec l’aide de son ancien patron.



Bamako, 2009. HUICOMA (Huileries Cotonnières du Mali) était un important groupe industriel pour la production d’huiles cotonnières, un des dix grands groupes maliens de l’agro alimentaire. Privatisée sur les injonctions du FMI et de la Banque mondiale, HUICOMA est soumise à une gestion privée catastrophique, qui conduit à la banqueroute. Les ouvriers de l’huilerie occupent les locaux de la Bourse du travail à Bamako depuis plusieurs mois. La faillite des politiques économiques, accroît le nombre des candidats à l’émigration.



Bamako, 2010. Femmes des grévistes de HUICOMA. Certaines de ces femmes ont été des leaders dans les luttes pour la défense des droits des migrants et des expulsés au Mali. Sur le terrain la jonction se fait spontanément entre les grévistes, les syndicats et les mouvements qui, comme l’AME, défendent les droits des migrants.



Bamako, 2010. " Je suis revenu à Bamako il y a 3 ans. Ma femme, française, et mes filles vivent en région parisienne. J’ai été expulsé de France, car nous n’étions pas mariés. " Ils se marient à Bamako en 2009. Il attend depuis 1 an le feu vert des autorités françaises pour rejoindre son épouse et sa fille.



Bamako, 2010. B. S. travaille pendant cinq ans comme ouvrier d’imprimerie en région parisienne. Il est refoulé à Bamako en 2008, à peine deux mois après la naissance de son fils ; sa compagne malienne et son fils restent en France. La " criminalisation " de son statut " sans papier " l’a fragilisé. A Bamako, il finit par trouver un petit emploi. Son espoir : rejoindre sa femme et son fils, retravailler en France.




Bamako, 2010. Le mouton fait partie du paysage malien, il est égorgé tous les ans pour le Tabaski, la fête de clôture du Ramadan. Dans ce pays, où l’élevage nomade et transhumant est répandu, les moutons me font penser aux migrants dûment missionnés par leur famille, et qui souvent n’ont pas droit à l’échec. Ils doivent " se sacrifier " et si après leurs pérégrinations ils reviennent bredouilles, c’est le déshonneur.



Paris, 2010. F. en région parisienne, B.S. son concubin et père de l’enfant à Bamako; entre eux des milliers de kilomètres. Leur réunion se fera. Mais quand ? Elle change souvent de coiffure, comme les africaines de son âge elle le fait par coquetterie ou par goût du luxe. Je ne peux m’empêcher de penser qu’elle se cherche et qu’elle explore des frontières secrètes dont elle ne sait pas toujours où elles s’enracinent et où elles vont.


Sikasso, sud Mali, 2010. En 2007, Dee Dee Bridgewater édite un disque : " Terre rouge / un voyage malien ". Originaire de Memphis (Tennessee, U.S.A.), où la terre est également rouge, elle y rend hommage à ses racines africaines et à l’extraordinaire musique malienne. Cette terre rouge malienne, si forte et attachante, est-elle présente dans les " quantités considérables de poussières sahariennes " qui traversent la Méditerranée chaque année et qui, selon les scientifiques, font virer les couleurs de la mer au vert ?




Photographies de Laetitia Tura
« Je suis pas mort, je suis là, Maroc-Espagne, 2007 - 2010. L’externalisation du contrôle des frontières européennes se traduit au Maroc par la mise à l’écart des migrants. Refoulés loin des regards, ils élaborent des stratégies de camouflage, se fondent dans le paysage. Ils deviennent invisibles et se déplacent dans le blanc des cartes. Ils entrent en guerre. Quand j'ai voulu rendre perceptible cette expérience, j'ai été confrontée au risque d’accroître le péril des migrants par le travail de mise en image. Nombreux sont les obstacles d’un terrain qui ne tolère pas d’appareil photographique. Et pourtant, l'enjeu est bien de répondre à l'invisibilité et de replacer le migrant dans l’espace social en tant que personne et non comme une figure du criminel ou de la victime. Les parcours des migrants s’inscrivent dans la durée, l’effort, l’incertitude : un mouvement souvent peu spectaculaire, dans des lieux isolés où rien ne se passe.  
Un film documentaire, Les Messagers, sur la disparition des migrants dans la frontière, est en cours de réalisation avec Hélène Crouzillat. » Laetitia Tura / le bar Floréal.photographie
En savoir plus ce sur le projet sur le site de Territoires en marge.
 


Repères, vers Oujda, 2007. Dans le no man's land entre Maghnia et Oujda, les autorités du Maroc et de l’Algérie se renvoient les migrants, au gré des refoulements. " Tu es entre le marteau et l’enclume, enfermé au milieu d’un territoire immense. " G. Il faut d'abord rejoindre à pied Oujda, ville la plus proche, en s'orientant le jour grâce aux rails de chemin de fer, aux poteaux électriques, la nuit avec les éclairages rouge de l'aéroport.



Camouflages IV, Oujda, 2009. La frontière algéro-marocaine est la dernière frontière à franchir avant l’Europe. A Oujda, les départs des convois s'organisent pour le passage. Les communautés migrantes se rassemblent sur le campus universitaire ou bien dans les tranquilos, campements informels, dans les forêts avoisinantes.



Camouflages IV, Oujda, 2009. Depuis les événements largement médiatisées de l’automne 2005, les grands camps des forêts jouxtant les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla ont été vidés. Les tranquilos sont désormais des campements plus informels et de taille limitée, réduisant ainsi les formes d'organisation collective. " Un ghetto, ça veut dire qu’on n’est pas à la maison, c’est des bâches. " G.



Repères, Naïma, 2009. Pour rejoindre Rabat ou Casablanca, certains tentent de monter dans un train de marchandise prés de Naïma. Là, une voie ferrée secondaire dessert une cimenterie. " Si tu as de la chance tu ne tombes pas. Finalement j’ai eu peur et j’ai préféré continuer à pied. Les rails c’était un repère. J’ai marché, seul. Je m’arrête à minuit et je pleure. Tu te poses sur l’herbe et tu vois la rosée qui se forme, des petites gouttes d’eau. 13 jours de Oujda à Rabat. Ça veut dire que j’ai fait 700 km à pied. " Dakouo S.



Repères, Naïma, 2009. Quand je rencontre Eric D. à Rabat, il vient de perdre son compagnon, écrasé par le train. Il ne connaît que son nom d'emprunt. Le sentiment de danger l'a poussé à laisser le corps sur place. Sans nom et privés de sépulture, des morts deviennent finalement des disparus. " L'aventure ça transforme. Au pays, je ne pouvais pas voir quelqu'un se faire écraser par un train, et moi je continue ma route. C'est comme si on avait retiré une partie de moi qu'on avait enterrée. " Eric D.



Camouflages I - le bush, campement de Malabata, Tanger, 2008. Au printemps 2008, une communauté de migrants nigérians vit encore sur les collines autour de Tanger, à une demie-heure de marche d'un village. 80 personnes y vivent alors. Le dimanche, une église rassemble des fidèles du camp ainsi que des personnes venues de la ville.




Camouflages I - le bush, campement de Malabata, Tanger, 2008. Se défendre implique de mettre en place des systèmes de sécurité parfois désuets au regard des systèmes sophistiqués de sécurisation des territoires développés par les Etats. La résistance des migrants s’apparente à une guerre journalière : système d'alertes autour des tentes, masquage du terrain, pièges…



Camouflages I - le bush, campement de Malabata, Tanger, 2008. " Je vivais mal, je dormais mal, tout ça pour atteindre un but, entrer à Melilla. C'est un combat, c'est une guerre. Pendant que je suis en aventure, je suis soldat. C'est quand je vais gagner ma guerre que je vais changer d'identité et que je ne serai plus soldat. " Mabola N.



La valla I, Aguadú, Melilla, 2008. Sur la barrière de Melilla, des agents de la guardia civil ont installé des abreuvoirs pour les oiseaux. La déshumanisation à l’œuvre dans la frontière touche les autorités tout autant que les hommes dépossédés de la dignité la plus élémentaire. D’un côté, la condition humaine est réduite à sa plus stricte nudité. De l’autre, l’humanité à défaut de s’exercer sur l’humain, se déplace ailleurs…



La valla II - Brèches, Melilla, 2008. Après les événements de 2005, la hauteur des barrières a été doublée, un réseau de câbles a été installé au milieu des deux grillages. Il est quasiment impossible de franchir la barrière aujourd'hui. En novembre 2008, de fortes pluies ont provoqué des glissements de terrains et des coulées de boue. Les fondations de la barrière ont cédé, ouvrant ainsi quelques passages éphémères.

La valla I, Mawari, Melilla, 2008. " A celui qui ne l’a jamais vu, je dirai que c’est un quadruple mur de ferraille, très dangereux à traverser. C’est du grillage, ça peut percer le corps. C’est là pour torturer quelqu’un. Même quand tu es déjà au sommet de la barrière, tu ne peux même pas mettre ta main, tu ne peux pas t’accrocher. Et descendre, ce n’est pas une petite affaire. Tu peux te briser les deux jambes. Tu peux mourir. Pour moi, la barrière, c’est un monstre. " Eric M.




La valla I, Mawari, Melilla, 2008. " Je suis parti avec deux sacs. Un sac de vêtements et l’autre de repos, pour équilibrer le poids. Deux sacs noirs bien attachés, tu passes la ficelle ici et là. Les petites vagues sont les pires, elles te tiennent, tout le temps les vagues te baffent, paf, paf, paf... La nuit, il faut sortir directement, tête droite, il ne faut pas se retourner et c’est tout. " Moussa M.

18 août 2010

CHRONOLOGIE

Fin du VIIe siècle. Conquêtes musulmanes en Afrique, développement de l’esclavagisme arabo-musulman. Les caravanes d’esclaves parcourent le Sahara en direction du Moyen Orient.

XVIe siècle. Constitution des premiers espaces coloniaux européens et début de la traite esclavagiste européenne. Entre le XVIe et le XIXe siècle environ 10 millions d’esclaves traversent l’Atlantique.

Début du XIXe siècle. Premières abolitions de l’esclavage en Europe.

Novembre 1884. La conférence de Berlin officialise le partage colonial de l’Afrique.  La circulation des populations indigènes est contrôlée par les autorités coloniales; elle est soumise à des autorisations. L’urbanisation, surtout blanche, se développe modestement.

1945. En France, le général de Gaulle met en place un programme pour introduire des immigrés. L’industrie  manque de main d’oeuvre, les démographes craignent la « dépopulation ».

Septembre 1960. Le Mali proclame son indépendance. La plupart des pays africains  optent pour l’indépendance au début des années 1960.

1965-2010. En Afrique de l’Ouest le nombre d’habitants passe de 88 millions à 290 millions (soit un multiplicateur de 3,3) tandis que la population urbaine est passée de 13 millions à 128 millions (soit un multiplicateur de 10). On estime que plus de 80 millions de d’Africains de l’Ouest ont migré de la campagne vers les villes.

Années 1970. Le Fond Monétaire International (FMI) et la Banque mondiale imposent des « politiques d’ajustements structurels (PAS)» aux pays du Tiers monde : abandon ou privatisation des services et des aides publiques. Les PAS ruinent une partie importante des agriculteurs. Les paysans ruinés migrent vers les villes et les bidonvilles.

Années 1980. L’Europe entame des réformes législatives qui conduisent à la fermeture des frontières extérieures de la communauté européenne. Les frontières verrouillées engendrent la sédentarisation de ceux qui ont réussi à entrer,

2010.  PIB moyen par habitant dans un pays du tiers monde : 1300 €/  dans un pays riche : 24.000 €/ en France il est de 35.000€.